Compagnie Atlantique de Navigation Aérienne Bordeaux v/s Toulouse |
Pour les spécialistes, deux ou trois ans seulement seraient nécessaires pour
créer de grandes lignes transatlantiques.
En décembre 1919, Breguet : "... La sécurité de l'avion
proprement dite, c'est à dire stabilité, robustesse, bon fonctionnement des moteurs,
peut être considérée comme acquise dès 1920. Il faut donc s'atteler sans perdre
un instant à l'installation des ports aériens et des postes de signalisation de
toute nature et, en particulier, à l'application généralisée de la science
radio-goniomètrique. Cette organisation est en bonne voie et on peut prévoir
que, dès 1921, la sécurité de la locomotion aérienne sera au moins équivalente
à celle des autres moyens de locomotion rapide."
Une impression renforcée par la rapidité des liaisons et la progression des Lignes Latécoère qui se
développent pragmatiquement vers l'Afrique en consolidant d'abord la liaison
postale sur le trajet Toulouse – Casablanca.
Le Salon de l'Aéronautique de novembre 1921 au Grand Palais à Paris en est
l'illustration de cette démarche assurée des lignes commerciales.
Les immenses
appareils de transport en service ou en développement, tri ou quadrimoteurs,
emplissent la nef. Leurs noms soulignent leur gigantisme. En se
limitant à ceux présentés sous couleurs françaises, on trouve des
"Goliath" et "Super Goliath" de Farman, le
"Leviathan" de Breguet, le "Mammouth" de Blériot.
Toutefois, si les constructeurs aéronautiques sont optimistes, d'autres
s'inquiètent.
C'est tout particulièrement le cas des industriels et hommes d'affaires
bordelais, dont la prospérité résulte de leur position en tête de ligne sur les
liaisons maritimes vers le Maroc, l'Afrique Occidentale Française et l'Amérique
du Sud.
Ils voient avec appréhension la concurrence et la montée en puissance de
Toulouse, symbole de l'expansion aéronautique. Dans ce contexte, une
contre-offensive se prépare au sein de la Chambre de Commerce de Bordeaux. Les
grandes compagnies maritimes s'y associent rapidement. On compte la Compagnie
des Messageries Maritimes, la Compagnie maritime des Chargeurs Réunis, la Compagnie
de Navigation Sud Atlantique...
Ces membres se rassemblent et forment le Comité
Aéronautique du Sud-Ouest (C.A.S.O.).
L'organisateur sera M. de Saint-Blancart, ancien chef de secrétariat de l'Aero-Club de France et membre du Conseil d'Administration de la Ligue aéronautique de France.
1922 : Création de la Compagnie Atlantique de Navigation
Aérienne (C.A.N.A.)
Au cours de l'année 1922, les acteurs du projet veulent
promouvoir l'hydravion pour le trajet Bordeaux – Dakar. Cette option est défendue
comme plus sûre que le survol des régions hostiles de la Mauritanie et comme
plus indépendante des pays survolés, car soumis aux règles du droit maritime.
Pour la traversée de l'Atlantique Sud, de Dakar à Pernambouc (Brésil),
ils prévoient de réaliser le parcours en navires rapides et puis, le trajet
Pernambouc - Rio de Janeiro - Buenos Aires sera en hydravion.
Actions CANA |
La société aura son siège à Paris, 8 rue Halévy.
Les partisans des diverses options s'affrontent dès la fin
de novembre 1922 à l'Assemblée Nationale à l'occasion d'un grand débat sur le
budget de l'aéronautique. Le rapporteur du budget est Maurice Bouilloux-Lafont.
Tout en défendant la nécessité de financer la recherche et les études des
constructeurs, il attaque violemment les subventions aux compagnies, et tout
particulièrement aux lignes impériales, dans la mesure où elles ne correspondent
à aucune demande commerciale viable à terme.
René Fonck, lui, limite son intervention
au domaine militaire. Le transport commercial sera développé par Charles
Tisseyre, qui défend la nécessité des subventions pour cette activité naissante
et la priorité à donner au financement des lignes impériales. Laurent-Eynac
fera une synthèse relative, reconnaissant les critiques justifiées que mérite
l'exploitation commerciale des lignes aériennes, mais en soulignant les progrès
rapides et le fait que "si c'est avec l'esprit d'un notaire ou d'un
actionnaire que l'on juge notre aviation, elle est condamnée".
En parallèle, René Fonck a mené en septembre et octobre une
grande mission en Amérique du Sud, à l'occasion des fêtes du Centenaire de
l'Indépendance du Brésil. Il y est accompagné de Fronval, tous deux ayant
apporté leurs avions. "Maurice Loubet, représentant la Compagnie
atlantique de Navigation aérienne" participe également à cette mission
avec un Caudron biplace.
Le 16 décembre 1922, la C.A.N.A. signe avec le gouvernement un contrat lui
accordant une subvention conséquente de 7.000.000 de francs, pour accomplir
douze vols d'études sur les lignes déjà balisées Dakar - Saint Louis, Dakar –
Kayes - Bamako .
1922-1923 : les opérations de la C.A.N.A.
Caudron C61 |
Dés sa création en 1922, la C.A.N.A. a créé une structure locale. Elle a embauché en octobre à Bordeaux un directeur, jeune pilote expérimenté, Charles de Verneilh et un chef-pilote, Raymond Delmotte. Tous deux s'installent à Dakar. Par la suite, la C.A.N.A. embauche un autre pilote, Maurice Loubet, qui accompagne la mission en Amérique du Sud et s'installe à Dakar. L'arrivée des Caudron ne change pas l'atmosphère. La C.A.N.A. effectue en décembre 1922 son premier vol Dakar-Kayes. Les appareils sont abrités dans le seul hangar de Dakar. Les serpents à lunettes aussi et qui se mettent régulièrement à l'abri sous les bâches des moteurs ou dans la cabine. A Kayes, c'est encore pire. La température des moteurs "refroidis" avoisine souvent 62° à la remise en route.
A g le pilote Delrieu à d. Roig, chef de la mission Latécoère
C'est alors que Pierre-Georges Latécoère se décide de passer
à l’action. Dès le mois de mai 1923, il organise dans la plus grande discrétion
une mission constituée de trois Breguet XIV pour effectuer un voyage de
Casablanca à Dakar et retour.
Pour s'assurer la publicité maximale, Latécoère
invite un journaliste du "Matin" à participer à l'expédition. En juin, pour
marquer sa présence au Portugal, il fait inviter les aviateurs Cabral et
Coutinho à Paris par le biais du Comité France – Portugal, et assure leur
transport vers Paris, en profitant pour inaugurer de nouvelles lignes
(provisoires) Paris – Bordeaux - Madrid – Lisbonne. Une inauguration qualifiée
de provocante pour les responsables bordelais alors que les cérémonies ont lieu
dans leur ville.
Fin 1923, selon un rapport de Vital Ferry « La C.A.N.A. avait, en tout et pour tout,
effectué 15 voyages, parcouru un peu plus de 7 000 kilomètres et transporté 44
passagers, pas une seule lettre ni un seul colis. Un calcul rapide montre une
disproportion certaine entre ces résultats et le montant de la subvention
accordée : un demi million de francs par voyage, I 000 F par km parcouru, 140
000 F par passager. » Dans ces
conditions, l'Etat considère le contrat non rempli et refuse toute nouvelle
subvention à la C.A.N.A.
1924 - 1925 : La fin de la C.A.N.A. et du C.A.S.O.