dimanche 7 juin 2020

Le Chant du Hangar

Philippe Paris, cheville ouvrière du Centenaire du Hangar d'Ecausseville au sein de l'association AAHDE nous fait parvenir un "Chant" dédié à l'une de ses passions. "Ecausseville, le Hangar et ses dirigeables."

Nous l'avions écouter en 2019, lors de la commission Mémoire, présenter le centenaire, défendre et plaider la préservation de ce bâtiment.  C’était une journée quand Aeriastory apportait ses propositions sur le thème : comment investir dans le patrimoine aero-historique dans une région en forte urbanisation.

                   

Aujourd'hui, un an plus tard, il nous envoie "son" chant du Hangar, un cri du cœur.
C'est toute l'Histoire d'un Hangar, en poésie.
Un Hangar, unique en son genre, reconnu et menacé, au milieu des champs du Cotentin.  Quel sera son avenir ?

Pour certains, ce serait une bataille pour une cause perdue ?

Rien n'est aussi sûr...  Car sans "passion", sans ce petit grain de folie qui rend téméraire et fait face aux défis, comment l'Homme aurait-il pu évoluer, se déplacer, voler ?
C'est dans esprit que Philippe Pâris, lors de la commission Mémoire, a convaincu Aeriastory d'être membres de l'AAHDE. Une suite sur ce chemin que nous avions commencé depuis notre première rencontre au centenaire de l’aéroport de Toussus en 2007, avec l'association Fontenay d'Hier à Aujourd'hui, sur le thème "Le Val de Gally, 100 ans d'aéronautique"

Le chant du hangar ne sera pas le chant du Cygne !

Le chant du hangar
I
Immense nef surgie des champs, inattendue,
Mon architecture de loin peut être vue,
Belle et remarquable à l’écart de toute ville,
En béton, je suis le hangar d’Ecausseville.
Hangar à dirigeables, telle était ma raison,
Abriter les marins de l’aérostation.
Né trop tard pour servir lors de la Grande Guerre,
De Lossier Henry, on ne se souvient guère.
Des hangars, mes frères, de longtemps disparus,
Victimes du progrès des avions apparus,
Oublié de tous, donc, me voici centenaire,
Et vais vous conter ma vie extraordinaire.
Mil neuf cent vingt, l’année où je suis achevé,
Plus d’U-Boot à traquer, la paix est retrouvée.
Des canons côtiers au lieu de dirigeables,
Sont là pour préparer la guerre probable.
Quarante. Les Allemands sont partout, donc chez moi,
Un jour de tempête, mes portes dans l’effroi,
Basculent à terre et jamais relevées
Depuis. Et quatre années avant d’être sauvé.
Du jour J, naît l’espoir du pays libéré,
Et j’assiste aux combats des soldats dans les prés,
De cette armée U S, tous nous nous souvenons.
Je fus où réparer leurs camions et canons.
La France libérée, les combattants partis,
Après eux, me voilà, couvert de graffitis.
Et à la Marine toujours appartenant,
Au calme retrouvé, je vais, m’abandonnant.
Mais de Gaulle revient, qui veut sa bombe H,
Des essais de ballons, que personne ne sache,
A l’abri des regards se tiennent dans mes murs,
Guérites et sentinelles, je suis un lieu sûr.
J’en garde les marques : des tuiles restaurées,
La fosse, un pignon nord-est restructuré.
Puis vingt ans vont passer. Personne pour m’ouvrir,
La Marine m’oublie. Quel est mon avenir ?

II
Me vendre, mais à qui ? Région ? Département ?
Trop frileux. Qui peut sauver ce joyau normand ?
Alors, quelqu’un ose. Dame Bouvier-Muller
Qui préside l’AFA1, passionnée de l’air.   1 Association Franco-Américaine des aérodromes normands de la 9ème US Air  Force
Déjà un projet de musée est concocté,        
En fin du siècle passé, la vente est actée.
Les clés du site remises par l’Amiral,
Belle cérémonie : très haut est le moral.
Le hangar est classé monument historique,
On attend le musée de l’aéronautique.
Madame Bouvier s’épuise à trouver des fonds
Sauvé c’est déjà bien, mais sombre est l’horizon .
Et me voilà abandonné, vandalisé.
Alors, cinq bénévoles, mordus, vont oser.
Me faire connaitre d’abord, puis prospecter :
Quels travaux, quels coûts, quelle rentabilité ?
Telle est en deux mil trois, de Philippe Belin,
La conviction. De moi, ils s’occupent enfin.
L’association de mes Amis est refondée,
Assemblée et bureau, donc tout pour décider.
Au début, partout on défriche, on nettoie,
L’eau, l’électricité reviennent. On y croit.
Journées portes ouvertes : les visiteurs se pressent.
Je revis. Mes braves Amis font des prouesses.
De nouveau j’accueille des plus légers que l’air,
Liftium, « Mademoiselle Louise », et Flottair.
Et l’aéroplume, revenant chaque année,
Pour le plus grand plaisir des jeunes et des aînés.
Lieu prisé de nombreuses manifestations,
Expositions, véhicules de collection,
Plusieurs animations : colonnes gonflables,
ULM, maquettes, un grand dirigeable.
Fréquentation en hausse continue. Pourtant,
De ma restauration le besoin est pressant.
Trop lourde pour l’AFA. Qui peut intervenir ?
La Comcom 2 hésite. Quel est mon avenir ?  2 Communauté de communes de Montebourg

III
Deux mil huit : achat par la Comcom. Satisfaits,
Mes Amis, de nouveau s’activent. Un Trophée,
Un chèque du député comme récompenses.
Et bien sûr, toujours à l’avenir on pense.
Ainsi est né le comité de pilotage.
Aider le président, c’est la mission des sages.
En groupes de travail, les projets vont vivre :
Le musée s’embellit, on publie un livre.
Diagnostic du béton et rentabilité
Du site, font l’objet d’études financées.
Je vois aussi patagons et parachutistes ;
Beaucoup de visites, l’ambiance n’est pas triste.
Deux mil quinze : voici un nouveau président.
La situation est difficile. Cependant,
Mes Amis continuent à s’occuper de moi.
Les visiteurs reviennent à ma grande joie.
Des bénévoles avec Eric Guillemeau,
Gèrent le présent comme vu dans les journaux.
Et d’autres du futur s’occupent constamment ;
Echec des discussions avec le Département.
Deux mil dix neuf : la CAC3 remplace la Comcom.    3 Communauté d’Agglomération du Cotentin.
Malgré des filets dans le hangar, hors des normes,
Hélas, se trouve mon musée, pour le public.
Du béton est lancé un second diagnostic.
Deux mil vingt : un beau projet pour mon centenaire,
L’occasion de réunir, élus et experts,
Pour esquisser mon futur, en tables rondes.
Patatras ! Un virus a changé le monde.
Un sort funeste s’acharne sur mes Amis,
Et sur moi. Depuis plus de vingt ans, je subis
Alternances d’espoir et oui, de désespoir.
Du côté des mécènes, il faut aussi voir.
Plût au ciel, qu’un jour, élus et Amis s’entendent
Pour qu’enfin on me restaure. Qu’on n’attende
Point. Je suis fragile. Aujourd’hui, pour finir,
Oui, j’ignore encore, quel est mon avenir.

Philippe Pâris, mai 2020