lundi 14 décembre 2020

Le Normandie-Niemen au 1er meeting aérien d’après-guerre en Suisse

Yak 3 - Cointrin / Coll A.Violand 
Ce meeting aérien oublié de Cointrin est par ailleurs aussi le 1er meeting vu en Suisse dans l’après-guerre.

Le 9 juin 1946 les ailes françaises sont alors à l’honneur à Genève notamment grâce à la présence de l’escadrille Normandie-Niemen et de ses avions russes Yak-3, ainsi que de plusieurs pilotes d’essais oeuvrant pour des constructeurs de l’hexagone.

Le meeting complète le 10ème Foire de Genève, symbole du renouveau économique et 1er salon renaissant après la fin des hostilités.

Le Normandie-Niemen (NN), la plus talentueuse escadrille de français durant la guerre

Difficile d’imaginer pourquoi la presse genevoise n’a fait que peu de cas de la manifestation aérienne du 9 juin 1946. Ce 1er meeting aérien helvétique de l’après-guerre, avec la venue de présentations de qualité, se déroula par beau temps durant le week-end de Pentecôte peu avant les vacances scolaire et attira une foule considérable nous dit la Tribune de Genève du 11. Mais le véritable événement local d’alors est lié à l’existence de la 10ème Foire de Genève, ancêtre du Salon des arts ménagers, qui se déroule du 1 au 16 et dont les journaux se délecte sur plusieurs pages chaque jour. Si la 2ème guerre mondiale est enfin terminée depuis un an, ce n’est qu’avec le printemps 1946 que l’activité reprend fortement, la foire en est un exemple, en même temps qu’une ouverture à la consommation. Les "Journées françaises" de la foire, sont donc épaulées par ce meeting aérien qui a aussi pour but de montrer les nouveaux appareils légers livrables par la France tout en offrant le spectacle de sa plus talentueuse escadrille de la dernière guerre.

Après la chute de la France, puis la création des Forces Françaises Libres, à la fin 1942 on recruta des aviateurs français, mécanos, traducteurs, etc. pour combattre l’Allemagne depuis la Russie au sein d’une nouvelle escadrille baptisée "Normandie-Niemen". D’Angleterre ou du Moyen-Orient, des hommes rejoignent l’URSS. L’escadrille "NN" finira cette guerre avec un score de 273 victoires aériennes, 37 probables, 47 avions endommagés et malgré la perte de 37 pilotes. A l’armistice, Staline offre les chasseurs russes Yak-3 aux 40 pilotes français qui rentreront en France à leur bord en juin 1945. On ôte les marquages russes, on ajoute la croix de Lorraine, des cocardes et du bleu-blanc-rouge sur la dérive alors que la casserole d’hélice porte déjà ces couleurs, pendant que la carlingue reste dans les tons gris-bleu.

Cette escadrille GC III/5 basée à Toussus-le-Noble doit perdurer et fera de nombreuses démonstrations dans l’Hexagone et quelques rares excursions à l’étranger dont en Suisse.

Ce sont six Yak-3 qui se posent à Cointrin le dimanche 9 après un vol en formation de 1h10’ de Toussus à Dijon, puis de 30 minutes jusqu’à Cointrin.

Le chef de patrouille, le Lt Marchi (no.4), est secondé par le Lt Penzini (no.20). On cite aussi les pilotes Pierre Bleton (1919-1996) et Yves Mahé (1919-1962) (avions no.14 et 35). Les aviateurs sont reçus par le major J.R.Pierroz, Poncet patron de la Tarsa, Devaud prés. de l’Aéro-Club ; Yves Maître, prés. de l’Avia, le capitaine M.Weber, ainsi que par de nombreux officiers aviateurs suisses. Des pilotes d’essais d’usine français sont déjà là, "as" de l’acrobatie, comme M.Doret, F.Détré, L.Galy et F.Lasne.

Le matin, ils font déjà frissonner les spectateurs en voltigeant à bord de bi-quadriplaces de l’aviation légère comme les Nord 1101/1002, S.E. 2300, Guerchaix-Roche T35 ou le Stampe. Un gros bimoteur militaire français (Siebel NC707) débarque encore un groupe de sous-officiers observateurs, des mécaniciens, et un officier de liaison le ss-lt Eichenbaum. Pendant une période, le public peut même s’approcher des appareils au sol. Vers 15h30, quatre des appareils de la NN dédiés à la voltige débutent un vol de 25 minutes ne dépassant pas l’altitude de 1.600m : "Les figures les plus étonnantes de la chasse ou de l’acrobatie n’ont plus de secret pour ces as du manche à balais. (TdGe)"

NB : Les avions Nord 1101 et 1002 sont développés à partir du Messerschmitt Bf108 Taïfun. Le S.E.2300 de la SNCASE ne sera construit qu’à 2 ex dont ce F-BEEL à moteur Renault 4 Pei de 140cv qui ressemble au Nord 1101. Le Guerchaix-Roche T35 fut un avion de liaison des FAFL.

Yak 3 - Cointrin / Coll A.Violand

Des pilotes français prestigieux en temps de guerre comme en temps la paix

Le Lt Roger Marchi, né en 1919, 2.230h de vol, 107 missions de guerre, crédité de 13 victoires aériennes, décèdera à 27 ans le 17 juillet 1946 dans le crash d’un avion de tourisme par la faute de son passager un mois après son passage en Suisse (baptême de l’air).

Le Lt Dominique Penzini (1914-1979) dit "Pinceau", mena quelque 253 missions de guerre dont 132 de chasse, avec 9 victoires homologuées dont 3 individuelles (1940). Après guerre, il devient responsable de la patrouille acrobatique du Normandie-Niemen et fera quelque 34 meetings en France et en Suisse. Il remplacera Marchi, à la tête de l’escadrille en août 1946.

Georges Détré (1902-1987), "le beau Georges", chef pilote d’essais, remporta notamment la Coupe Deutsch de la Meurthe avec 322,8 km/h (1933). Il décrocha un record d’altitude à 14.843m (08.1936). Il pilota le 1er Noratlas de série et le prototype du Stampe S.V.4C (06.1945) et, à 44 ans, voltigera à Genève avec cet appareil le 9 juin 1946. Sa carrière se poursuivra.

Léopold Galy (1908-2001), futur pilote d’essai ; quitte la 1ère Escadre de chasse, entre chez Dewoitine (Toulouse, 1937), pour faire équipe avec le chef pilote d’essais M.Doret qui le forme à la voltige (Dewoitine 520, etc.). Chez Sud Aviation, il pilotera le Mistral (Vampire), la Caravelle et totalisera 3.200h de vol en 1966 avec de nombreuses démos à l’étranger.

Marcel Doret si connu comme voltigeur sur Dewoitine est, lui, déjà bien cité dans Pionnair.

Fernand Lasne (1894-1984) entre dans l’aviation militaire comme mécano (1915). Breveté pilote (03.1917) il est affecté en escadrille de chasse. Fin août 1918 il est pilote d’essai à Villacoublay puis embauché chez Nieuport (1920) ; 2ème de la Coupe Deutsch de la Meurthe (1921) il remporte l’édition de 1922, puis le Tour de France Aérien pour avions de tourisme (1924). En 1925-26 il s’attribue 16 records internationaux de vitesse et de distance à bord d’un Nieuport Delage NiD.42. Après la guerre il réalisera le 1er vol du bimoteur embarqué SNCAC NC.1070 (mai 1947), puis le 1er vol du NC.1071, premier biréacteur français (10.1948) et celui du 1er monoplace à réaction français, le NC.1080 (07.1949). Il prendra sa retraite en 1958 avec 5.000h de vol et après avoir décollé 30 prototypes.

La vie passionnante du "Genevois" du Normandie-Niemen

Igor Eichenbaum, du "NN" 
Crédit Photo:  Pionnair

Quant au ss-lt français cité à Cointrin le 9 juin, Igor Eichenbaum, il est né à Plainpalais (Genève) le 2 septembre 1910, fils de deux immigrés russophones … et passera la 2ème Guerre mondiale comme interprète dans l’escadrille Normandie-Niemen ! Sa jeunesse ne fut pas de tout repos : à 7 ans, ne parlant que français, il tente de rejoindre son père en Russie. Il y reste jusqu’en 1921 isolé chez des proches où il apprendra le russe. Ses parents l’emportent alors en Allemagne où Igor ne parlera plus qu’allemand tout en résidant à côté d’un aérodrome. A 15 ans il retrouve son père en France ayant oublié de parler le russe et le français. Il termine ses études près de Paris, devient ouvrier d’usine et vise un brevet de préparation militaire en aviation. Sa myopie l’empêchera à jamais de piloter et les mutations de base en base, et surtout la guerre, le mèneront en service au Liban comme adjudant mécanicien d’armement (1940).

Pensant rallier la France libre du côté de Madagascar, il se retrouve à Djibouti d’où il s’évade en avion (12.1942) et intègre les Forces Françaises Libres en Abyssinie (FAFL). C’est alors qu’il apprend que l’on cherche des volontaires français pour le Russie. Rejoignant l’Afrique du Sud il rallie l’Angleterre (06.1943) ou un convoi l’amènera, via le Caire, en Iran, puis en Russie. Il deviendra alors l’un des interprètes du NN, plutôt que mécano, avec son ami Paul Pistrack et au grade d’aspirant (09.1943). Après guerre, revenu au rôle d’armurier et surnommé "Boum-Boum", il devient le dévoué secrétaire général de l’Association des Anciens du Normandie-Niemen créée en 1945, dans le but de garder vivant le souvenir des disparus et renforcer les liens d’amitié entre les anciens combattants soviétiques et leurs camarades français. Il sera nommé lieutenant en septembre 1946 puis capitaine en avril 1952. Bardé dune quinzaine de décorations françaises, soviétiques et autres, le commandant Eichenbaum disparaitra en 1987.

Les suites du meeting du 9 juin 1946 à Cointrin

Le lundi 10 juin 1946, l’escadrille Normandie-Niemen poursuit son périple en Suisse. Les 6 appareils rejoignent Bienne après un vol de 30 minutes. Le 11 juin, ils atteignent Zurich Dübendorf après 40 minutes de vol. Le carnet de vol de D. Penzini ne mentionne pas de démonstrations de voltige de sa part sur ces deux sites suisses. Le 12 juin, c’est le retour en France après 45’ de vol entre Zurich et Dijon. Quelque 45 autres minutes encore et ils se posent sur leur base de Toussus-le-Noble. La tournée en Suisse n’aura comptabilisé que 4h45’ de vol avec les Yak-3.

A noter que l’on reverra l’escadrille dans la région, à Chambéry, le 13 août.

La guerre froide a débuté entre l’Est et l’Ouest. On ne souhaite plus garder de matériel soviétique dans les troupes françaises. Par ailleurs les pilotes de chasse ne rêvent que de "jet" dorénavant. Les Yak-3 sont retirés du service actif au début 1947. Malgré qu’ils aient été offerts aux pilotes à l’origine, l’Etat français s’en débarrasse.

Un exemplaire (no.18) est conservé pour le Musée de l’air. Il est toujours exposé de nos jours dans sa livrée russe mais avec le no.4 aux couleurs de R.Marchi. Il s’agit d’un appareil de 1943 aux caractéristiques suivantes : envergure de 9,2m, longueur 8,5m, hauteur 2,38m, surface alaire 17,62m2, poids au décollage 2.660kg, vitesse max 648km/h, plafond pratique 10.000m, armé de 2 mitrailleuses synchronisées de 12,7mm et d’un canon Hispano de 20mm.

Pour Genève, il reste à mentionner la conférence du mardi 27 février 1951 organisée par l’Aéro-Club de Genève et l’Avia, qui se déroule à la salle de la Réformation ou le pilote NN, le capitaine Roger Sauvage vient présenter des films et photos sur le thème du Normandie-Niemen en Russie. Il est aussi l’auteur de l’ouvrage bien connu "Un du Normandie-Niemen" (1950).

Extrait de Pionnaire-ge : Le site des pionniers de l’aéronautique à Genève